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Franchise et intuitu personae

Le franchiseur qui refuse à son franchisé la vente de son fonds de commerce ne commet pas d’abus !

Le contrat de franchise est, par nature, marqué d’un profond intuitu personae.

S’il a été conclu, c’est en considération de la personne du dirigeant et actionnaire de la société franchisée.

Ainsi, tout contrat de franchise convenablement rédigé comporte une clause organisant les modalités d’une cession du fonds de commerce de la société franchisée.

Ce type de clause oblige généralement le franchisé qui souhaite vendre, à informer le franchiseur de son projet et à lui faire agréer le repreneur potentiel.

Le franchiseur doit alors prendre position avec faculté d’accepter ou de refuser la transmission du fonds et du contrat de franchise.

En la matière, le contentieux est peu fourni et la décision rendue par le tribunal de commerce de Paris le 14 février 2024 (n°2022042478), objet du présent commentaire, mérite tout notre intérêt.

Rappel des faits

Un franchiseur à la tête d’un réseau spécialisé dans le conseil était lié, par contrat de franchise, à une entreprise exploitant le concept dans la région de Grenoble.

Le contrat arrivant à expiration, le franchisé s’était rapproché de sa tête de réseau, quelques mois avant l’échéance, pour lui faire part de sa volonté de ne pas le renouveler.

Il avait accessoirement émis l’idée de pouvoir céder son fonds de commerce avant terme.

Le franchiseur ne s’était naturellement pas opposé à ce projet.

Il y voyait l’opportunité de maintenir un établissement franchisé dans le réseau (dont le contrat allait être renouvelé avec la cession).

Cette cession était aussi le moyen d’assurer la continuité de l’activité, en évitant la perte d’une unité dans une zone dynamique.

Toutefois, le franchisé s’était finalement montré peu impliqué dans ses recherches, de sorte qu’un seul postulant sérieux à la reprise avait été identifié, de surcroît par le franchiseur…

Mis en relation avec ce repreneur potentiel, le franchisé avait entamé avec celui-ci des discussions directes mais s’était gardé d’en tenir informé le franchiseur.

Ce dernier, inquiet de ne pas avoir de visibilité sur l’opération projetée, avait alors demandé à son franchisé de l’éclairer … sans succès.

A la lueur de rares éléments obtenus, le franchiseur avait en outre émis des réserves quant à la viabilité de l’opération.

Il estimait en effet cette dernière scabreuse car risquant de placer, dès le démarrage de son activité, le repreneur dans une situation financière délicate.

Ce n’est finalement que quelques jours avant le terme du contrat de franchise que le franchisé devait transmettre à son franchiseur des éléments éclairants.

Il communiquait notamment une promesse de cession signée de nombreuses semaines auparavant …

Pour autant, le franchisé exigeait du franchiseur qu’il prenne position dans la minute, quant à l’agrément ou non de l’opération et du repreneur.

Mis dans l’impossibilité de statuer, le franchiseur devait tout simplement refuser, estimant que la façon de procéder du franchisé était un obstacle à la cession.

Face à ce refus qu’il considérait comme abusif, le franchisé décidait de porter l’affaire devant la justice.

Le franchisé réclamait ainsi la valeur estimée dudit fonds (oubliant au passage, de préciser qu’il continuait à l’exploiter, postérieurement à la fin du contrat …)

A l’issue de la procédure, le Tribunal de commerce de Paris devait rejeter les demandes du franchisé.

Il estimait qu’en vertu du contrat, le franchiseur avait la faculté d’accepter ou de refuser le repreneur (1).

Le juge relevait par ailleurs que le franchiseur n’avait commis aucun abus en refusant d’agréer le repreneur et l’opération afférente (2).

1. Le franchiseur avait la faculté d’agréer ou de ne pas agréer le repreneur

Dans sa décision particulièrement claire, le Tribunal de commerce de Paris retient que le franchiseur « était en droit, au vu de l’article 15.1 du contrat de franchise, de refuser par principe et sans se justifier d’agréer un repreneur ».

En l’espèce, le contrat de franchise, s’il offrait la possibilité au franchisé de céder son fonds et le contrat, encadrait strictement ce droit.

Ainsi, il obligeait le franchisé à respecter un certain formalisme impliquant notamment l’information du franchiseur et l’accord de ce dernier.

Le Tribunal retient donc une solution cohérente et parfaitement orthodoxe en ce qu’il fait une application des dispositions contractuelles et des règles générales relatives à l’intuitu personae.

Le juge confirme ainsi le principe selon lequel, en présence d’une clause d’intuitu personae, le refus d’agrément n’a pas à être motivé, sauf clause contraire (Cour de cassation, 2 juillet 2002, n°01-12.685).

2. Le franchiseur n’a commis aucun abus en refusant d’agréer le repreneur

Au-delà du principe juridique contenu au contrat, le Tribunal était amené à se prononcer sur le fait de savoir si le franchiseur avait abusé de son droit en refusant d’agréer la cession.

Sur ce point, le juge rappelle que :

  • loin de s’opposer, par principe, à la cession, le franchiseur s’y était montré favorable dès le départ ;
  • le franchiseur avait lui-même identifié le repreneur qu’il avait mis en relation avec le franchisé.

Sur la pertinence de l’opération, le Tribunal de commerce constate en outre que le franchiseur avait manifesté auprès du franchisé ses inquiétudes sur la viabilité du projet.

Enfin, il relève que le franchisé, conscient des doutes du franchiseur, avait admis à plusieurs reprises que ce dernier pouvait légitimement accepter ou refuser l’opération projetée.

Dans ce contexte, le Tribunal estime que le franchiseur ne commet aucun abus en refusant de valider la cession du fonds de commerce du franchisé.

Conclusion

La décision du Tribunal de commerce de Paris ici commentée est classique, mais néanmoins très instructive.

Elle rappelle que lorsqu’il contient une clause d’intuitu personae, le contrat de franchise n’est pas cessible sans l’accord exprès de la partie créancière de l’obligation.

Il rappelle également que le droit de cette partie est souverain et qu’elle n’a pas à se justifier dans sa décision.

Indirectement, ce jugement invite les franchiseurs à la prudence dans la rédaction de leur clause d’intuitu personae.

Même si, par définition, la franchise est un contrat conclu en considération de la personne, il est indispensable d’y intégrer une clause ad’hoc.

En effet, lorsque les choses sont clairement dites, elles épargnent aux parties des discussions à rallonge et permettent de trancher simplement et efficacement les différends qui les opposent.