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L’Achat groupé : élément clé du savoir-faire du franchiseur

Cour d’appel d’Amiens, Chambre économique, 24 octobre 2019, n°18/02936

Question hautement stratégique dans les réseaux de franchise de distribution, l’organisation juridique des achats fait pourtant l’objet d’un contentieux peu fourni. Les rares décisions rendues en la matière méritent néanmoins que l’on s’y intéresse tant on peut mesurer l’amateurisme avec lequel certaines enseignes organisent leur fonction achat, notamment en termes de qualification donnée aux rémunérations perçues par le franchiseur.

L’espèce ici examinée ne porte pas précisément sur la rémunération des services apportés par le franchiseur, mais sur la continuité de la fonction achat au sein du réseau.

Commençons par le commencement : un franchisé ayant rejoint le réseau MONCEAU FLEURS en 2009 le quitte en 2017 à l’échéance du contrat qui liait jusqu’alors les parties.

Estimant que son désormais ex-cocontractant restait lui devoir différentes sommes d’argent, le franchiseur sollicite et obtient sur requête, du Président du Tribunal de commerce de Compiègne, une ordonnance d’injonction de payer pour un peu plus de 30 000 €, ordonnance contre laquelle l’ex-franchisé forme opposition.

Saisi du fond, le Tribunal de commerce confirme les termes de l’ordonnance, alourdissant au passage le montant des condamnations financières, ce qui conduit le franchisé à interjeter appel.

De manière somme toute assez classique, le franchisé fait valoir devant la Cour que les condamnations prononcées contre lui ne sont pas fondées car lui-même est créancier de son ex-franchiseur compte tenu des graves défaillances contractuelles de ce dernier : absence de transmission d’un savoir-faire spécifique, manquement à l’obligation d’exécuter le contrat de bonne foi…

L’on passera rapidement sur les griefs ainsi formulés par l’ex-franchisé, écartés d’un revers de manche par la Cour qui considère que l’enseigne démontre avoir transmis un savoir-faire et que la mauvaise foi contractuelle n’est pas établie.

En revanche, bien plus intéressante est la question portant sur la centralisation des achats évoquée par le franchisé. En effet, dans le contrat de franchise liant les parties, la tête de réseau s’engageait à tenir le rôle de centrale d’achat afin de faire bénéficier le franchisé d’une homogénéité de fourniture et du meilleur rapport qualité-prix qui soit, cette fonction achat groupé étant présentée comme un élément essentiel du contrat et du concept MONCEAU FLEURS.

Sur cette question, la Cour relève qu’en cours de contrat, le franchiseur a renoncé à exercer la fonction de centrale d’achat, ce renoncement constituant une faute ayant directement affecté péjorativement la marche commerciale de l’entreprise franchisée et augmenté ses charges d’exploitation.

De manière somme toute assez logique, elle condamne le franchiseur à payer au franchisé une indemnité de 30 000 € correspondant, selon la Cour, à la baisse de marge commerciale et au surcoût d’exploitation généré, cette indemnité venant largement amputer les condamnations prononcées contre l’ex-franchisé au titre des factures impayées.

Cette décision est parfaitement logique car elle consacre l’idée selon laquelle le « savoir-acheter » relève du savoir-faire global du franchiseur (dans le même sens : Cour de cassation, 2e chambre civile, 21 mai 1997, n°95-743), de sorte que la disparition de la centrale d’achat du réseau constitue une faute contractuelle qui justifie que le franchisé obtienne réparation.

Cela est d’autant plus vrai en l’espèce que le contrat lui-même consacrait cette notion de savoir-acheter et que la suppression unilatérale de la fonction achat par le franchiseur portait nécessairement atteinte aux intérêts du franchisé.

Cette décision doit inciter les franchiseurs à être particulièrement vigilants dans la rédaction de leurs contrats : sachant que l’organisation de l’achat groupé peut régulièrement évoluer au sein d’un réseau (il est ainsi fréquent qu’un réseau transforme sa centrale d’achat en centrale de référencement ou en centrale grossiste ou, comme en l’espèce, renonce à assurer cette fonction), le contrat devra autoriser l’évolution de la fonction achat en précisant que les parties s’accordent sur le fait que cette évolution n’affectera pas substantiellement le savoir-faire.

Martin LE PECHON
Avocat à la Cour
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