Guidé par la volonté de protéger le présumé faible (le franchisé) face au présumé fort (le franchiseur), le droit français s’est, de longue date, doté d’un dispositif d’information précontractuelle.
En vertu de ce dispositif (article L330-3 du Code de commerce ou « loi Doubin »), la tête de réseau, 20 jours au moins avant la signature du contrat, doit porter à la connaissance de son futur affilié différents documents et informations lui permettant de s’engager de manière éclairée.
L’irrespect de l’obligation d’information précontractuelle ouvre la voix à l’annulation du contrat de franchise et/ ou à indemnisation du franchisé.
C’est pourquoi, lorsqu’un différend éclate entre les parties, le franchisé a quasi systématiquement tendance à invoquer un manquement à cette obligation.
Il est notamment fréquent que le franchisé fasse valoir que :
- l’état local de marché figurant au DIP comportait des erreurs (Tribunal de commerce de Quimper, 27 novembre 2015, n°2013-003439)
- il lui a été remis un prévisionnel erroné et irréaliste (Cour de cassation, 18 octobre 2023, n°22-19329)
- le DIP s’abstenait de mentionner les départs du réseau de certains franchisés dans l’année précédant la transmission de l’information précontractuelle
- plus généralement, certaines informations essentielles étaient absentes du DIP (Tribunal de commerce de Caen, 25 janvier 2023, n°2021/00266).
Reste que l’imperfection d’un document d’information précontractuelle n’a pas pour effet d’entraîner, de facto, l’annulation du contrat de franchise.
En effet, les tribunaux considèrent depuis des décennies que l’annulation ne peut être prononcée que lorsque le consentement du franchisé a été vicié.
En d’autres termes, le contrat ne peut être annulé que si le franchisé démontre avoir été trompé (Cour d’appel d’Aix-en-Provence, 28 septembre 2023, n°20/00769).
Le jugement ici commenté se situe dans la lignée de cette jurisprudence.
De plus, il rappelle fermement que le franchisé est un commerçant indépendant, seul responsable de ses choix et qu’il lui appartient d’évaluer la rentabilité future de son entreprise.
Enfin, le jugement est très instructif sur un autre point: il étend la condamnation du franchisé placé en liquidation judiciaire, à son dirigeant.
En d’autres termes, la personne physique à la tête de la société franchisée doit assumer les condamnations, au même titre que la société elle-même.
I. Les faits
Un franchiseur, spécialisé dans la construction de maisons individuelles, avait conclu avec un certain Monsieur B. et sa société en cours de constitution, un accord de franchise d’une durée de cinq ans.
A la suite de manquements contractuels graves, le franchiseur avait mis en œuvre la clause de résiliation anticipée du contrat de franchise.
Il avait ensuite assigné le franchisé et son dirigeant/ associé devant le Tribunal de commerce de Paris pour obtenir paiement des arriérés ainsi que des dommages et intérêts.
En défense, le franchisé faisait valoir avoir été victime d’un dol résultant de l’incomplétude supposée de l’état de marché annexé au DIP.
Il invoquait également la transmission d’une présentation tronquée et trompeuse du risque concurrentiel (sic).
Il soulevait enfin l’absence de pertinence du prévisionnel supposément transmis par le franchiseur et la tromperie sur la rentabilité et la viabilité de son projet.
En conséquence, il sollicitait l’annulation du contrat et une réparation de plus d’un million d’euros.
Dans sa décision, le tribunal donne raison au franchiseur en validant la résiliation du contrat, pour fautes du franchisé.
En outre, il condamne le franchisé et son dirigeant à indemniser le franchiseur au titre de la perte de redevances.
Il déboute enfin le franchisé et son dirigeant de leurs demandes, estimant que les intéressés n’apportent pas la preuve du supposé dol.
II. Le franchisé est un commerçant indépendant qui doit estimer la viabilité et la rentabilité de son activité future
Le franchisé s’estimait victime d’un dol – c’est à dire d’une tromperie – commis par le franchiseur et sollicitait l’annulation du contrat.
En effet, le DIP n’aurait contenu que quelques éléments de présentation sommaires du marché local, induisant en erreur le franchisé.
De plus, le franchiseur se serait livré à une présentation tronquée des risques concurrentiels (sic).
Le tribunal de commerce de Paris écarte sèchement les affirmations du franchisé.
Notamment, il rappelle que le franchisé est un indépendant libre de ses choix stratégiques et économiques, capable d’estimer la viabilité de son activité commerciale.
Relevant enfin que le franchisé avait lui-même réalisé un prévisionnel avec l’aide de son expert-comptable sans renoncer à son projet, il écarte toute idée de dol.
III. Le franchiseur ne prend pas d’engagement dans la réussite du franchisé
Le franchisé mettait en avant la supposée déconfiture du franchiseur qui aurait témoigné de la mauvaise qualité du concept.
Ainsi, l’échec du franchisé aurait été le fait de la tête de réseau.
De son côté, le franchiseur – encore solidement debout – rappelait n’avoir donné aucune garantie au franchisé.
Il expliquait, de surcroît, que l’origine de la situation du franchisé se trouvait dans ses multiples manquements (notamment, modifications des plans types du franchiseur et non application du concept).
Dans sa décision, le juge retient l’analyse du franchiseur dont il estime que l’obligation d’assistance est de moyens.
Point instructif: alors que le franchisé évoquait la fermeture de certains points de vente franchisés pendant la crise dite « covid », le juge précise que la performance d’une franchise dépend de la gestion du franchisé et des circonstances extérieures sur lesquelles la tête de réseau n’a pas d’emprise (sic).
IV. Le dirigeant personne physique du franchisé, doit solidairement supporter les condamnations prononcées contre sa société
L’un des autres enjeux du procès concernait la responsabilité du dirigeant et associé de la société franchisée, elle-même placée en liquidation judiciaire.
Considérant que le dirigeant était personnellement engagé, le franchiseur sollicitait sa condamnation solidaire.
Le tribunal fait droit à cette demande.
Pour ce faire, le juge s’en réfère aux termes du contrat de franchise qui contenait différentes clauses affirmant de manière très claire que le dirigeant portait, au même titre que la société franchisée, la responsabilité de l’exécution du contrat.
Cette responsabilité est d’autant plus facilement retenue que ce même dirigeant avait réitéré son engagement dans un protocole signé par la suite par les parties, aux termes duquel des délais de paiement avaient été accordés au franchisé.
V. Conclusion
Le jugement ici commenté a le mérite de rappeler quelques principes de bon sens:
- le franchisé n’est pas un assisté. En tant qu’entrepreneur indépendant, il assume les risques et succès de son entreprise et ne saurait reprocher à son franchiseur ses propres échecs
- le franchiseur, s’il doit apporter un concept et une enseigne à son franchisé, ne prend aucun engagement de réussite à l’égard de ce dernier
- le franchiseur peut poursuivre personnellement le dirigeant associé du franchisé, notamment en cas de liquidation judiciaire. Pour cela, le franchiseur doit bien veiller à faire intégrer dans son contrat des clauses spécifiques et convenablement rédigées.
Martin LE PECHON
Avocat à la Cour
CLP Avocats